Je poursuis aujourd'hui (et les trois jours qui suivront) ma série de publications de façon un peu particulière.
Je vais vous parler de "Dieu et les dieux". Certains penseront que je veux faire de la religion. Il n'en est rien ! Justement, je souhaite remettre les choses en place à ce sujet. Des dieux, qu'est-ce que c'est ? Dieu, de quoi ou de qui s'agit-il ?
Conceptualiser ces termes permettra de mieux comprendre les publications qui suivront ultérieurement.

Pour aborder ce sujet assez abstrait, j'ai choisi de commencer par une histoire. Passer par un récit permet de se créer des images mentales et de mieux comprendre, par la suite, les messages transmis. Vous n'en aurez pas la fin aujourd'hui, mais demain. C'est un choix de ma part... afin que les idées qui sont développées à travers les événements racontés puissent cheminer en vous et être source de réflexion.

Bonne lecture à toutes et tous.
Flore

Histoire du petit peuple des Dantas et de leur grand chasseur : le jeune Niw

Niw était un jeune homme à l’allure athlétique, dont le corps, était rompu aux longues courses dans la plaine, lors des chasses auxquelles s’adonnait régulièrement la tribu pour survivre. Il était très respecté par les siens, car, l’œil acéré, les réflexes vifs, il ne ratait jamais sa cible. En outre, en excellent artisan, il fabriquait des lances très solides et d’une grande maniabilité.

Niw perdit son père alors qu’il n’était qu’un bébé. Heureusement, dans sa tribu, les membres s’entraidaient : chacun contribuait à pourvoir aux besoins de toute la communauté, composée d’un peu plus de deux cents individus.
Niw se sentait heureux parmi les siens, et jamais il n’aurait songé à les quitter. Cette éventualité n’avait d’ailleurs pour lui aucun sens. Depuis des générations et des générations, les Dantas affrontaient ensemble l’hostilité de ce monde sauvage de plaines et de collines peuplées d’animaux parfois effrayants. Mais on survivait. C’était ainsi, point !

Un jour, alors que les chasseurs venaient de tuer deux bisons qu’ils dépeçaient pour n’en ramener au campement que les parties consommables et utilisables, ils remarquèrent du haut de la colline des mouvements inhabituels en contrebas. Intrigués, ils s’approchèrent prudemment, tapis dans les hautes herbes.
Ce qu’ils découvrirent les stupéfia ! Trois hommes étaient là, prononçant des incantations autour d’un quatrième, très âgé et visiblement blessé.
Le chef de leur groupe, Sher, fit signe de s’avancer, mais en gardant les armes à la main.
Lorsque les étrangers prirent conscience de la présence des chasseurs, ils relevèrent la tête, sur la défensive. Le plus grand, un roux à la longue barbe, se releva lentement, levant haut les mains pour montrer ses intentions pacifiques, puis, se frappant la poitrine, il prononça à voix haute : « Prist ! »

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Trois mois s’étaient écoulés depuis l’arrivée de Prist, Ack et Jon dans la tribu. Le vieux Houn n’avait guère survécu plus de quelques jours dans le camp. Les nouveaux venus commençaient désormais à maîtriser la langue du groupe ; ils s’étaient magnifiquement bien intégrés et apportaient leur contribution à la vie commune. Néanmoins, un mystère demeurait. D’où venaient-ils ? Comment s’étaient-ils retrouvés là, isolés dans cette contrée sauvage, loin des leurs ?

Un soir de fin de printemps, alors que tout le monde était rassemblé autour du foyer central pour célébrer la fête du Grand Jour, le vieux chaman des Dantas souffla longuement dans une corne d’auroch pour demander le silence. Arrivèrent ensuite Ack et Jon, portant une structure de bois carrée sur laquelle avait été tendue une peau tannée de bison. Qu’était-ce ?
Prist se leva. Avec deux longues branches, il dégagea du feu un gros morceau de charbon de bois qu’il laissa refroidir. Sous les regards intrigués et attentifs, il prit le charbon, se dirigea vers la peau et, ce qui étonna l’assemblée, y traça des traits noirs d’une main habile. Un murmure parcourut le groupe. Personne n’avait jamais assisté à une telle scène. Progressivement, sur le support, apparut l’image d’un être stylisé, de forme humaine, au visage noir et aux yeux vides. A la place de ses bras, on distinguait très clairement deux ailes semi-déployées.

Alors, d’une voix forte, Prist dit : « Peuple Dantas, voici le puissant Kÿs, le dieu du ciel, le dieu qui maîtrise les vents et les pluies, le dieu de ma tribu d’origine. »

Les yeux écarquillés, les Dantas se regardèrent. Ils savaient bien qu’une grande force de VIE existait, celle qui faisait se lever le soleil dans le ciel, celle qui faisait revenir le beau temps après l’hiver, qui faisait pousser les plantes et les bébés dans les ventres maternels. Ils rendaient hommage à la VIE. Mais jamais ils n’avaient entendu parler d’un dieu du ciel, et, au grand jamais, il n’avaient pu se représenter quelque force que ce soit sous forme d’image, image qui faisait d’ailleurs grand effet sur eux, car le regard vide, le visage allongé et sombre, le corps ailé avaient quelque chose d’inquiétant.

« Mes amis, poursuivit Prist, il y a de nombreuses lunes, mon peuple découvrit en chassant des enchevêtrements de galeries sombres, et, dans l’une d’elle, un lieu empli d’objets inconnus. C’était la demeure du grand Kÿs. C’est là que nous avons découvert son existence. Alors, nous avons emporté son image sacrée. Une fois ressortis, nous avons trouvé face à nous un troupeau d’oies sauvages. Nous en avons tué plus de douze. C’était le premier cadeau de Kÿs. Alors, nous l’avons honoré pour le remercier.
Quelques jours plus tard, il mit sur notre route des chèvres à toison, dont nous avons pu récupérer la chair fine et la chaude fourrure. Nous comprîmes que Kÿs nous protégeait. Nous le vénérâmes longtemps. Mais vint un moment où des membres de notre tribu se rebellèrent : ils voulaient à nouveau honorer la Force de Vie. Nous avions peur que leur décision n’entraîne le courroux de Kÿs. Nous avons reproduit son image sur tous les endroits où nous passions, les pierres, les troncs des arbres. Les dissidents étaient furieux et certains osaient cracher dessus. Puis, deux d’entre eux pénétrèrent une nuit dans la hutte de notre grand prêtre alors qu’il dormait. Ils volèrent l’image sacrée, la piétinèrent et urinèrent dessus.
Lorsque nous découvrîmes le sacrilège, nous fûmes gagnés par la colère. Notre chef ordonna d’immobiliser tous les dissidents, et ils furent tués sans ménagement d’un coup de lance dans le cœur.
Trois jours plus tard, alors que tout notre groupe suivait le fleuve vers le Nord pour suivre du gibier, un vent violent commença à souffler, des pluies s’abattirent dans un grand tumulte. Puis, soudainement, les eaux se soulevèrent, sortirent de leur lit et emportèrent tout notre clan. Seuls quatre d’entre nous réussirent à échapper à leur fureur. Notre peuple avait offensé le grand Kÿs. Il nous avait punis ! »

Tous les visages, tournés vers Prist, restèrent figés de stupeur.

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Depuis le récit de Prist, Niw était tourmenté et inquiet. Chaque jour, par précaution, il apportait une offrande à l’image tracée sur la peau d’Auroch le soir du solstice : un fruit, quelques fleurs, une pierre taillée…
Niw ne pouvait s’empêcher de s’interroger. Qui était ce dieu puissant ? Il rêvait de le rencontrer, de voir sa demeure. Il en parla à Prist.
- Sa demeure se trouve dans les marais du grand Est. Mais pour y aller, le voyage est très long.
- Je veux y aller tout de même, je veux comprendre, découvrir.
- Il te faudra traverser le monde désolé.
- Je le traverserai !
- Alors, je viendrai avec toi, mon ami.

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Les deux hommes préparèrent leur départ, au grand dam de la tribu qui perdait ainsi deux bons chasseurs. Mais finalement, on ne voyait pas vraiment d’un mauvais œil cette idée. Puisque Kÿs était un dieu puissant, le rencontrer pourrait se révéler bénéfique pour le groupe et attirer sa bienveillance. Aussi, chaque famille offrit quelques provisions aux deux hommes qui se mirent en route bien chargés. Cette façon de se déplacer n’était pas pratique, mais Prist avait prévenu : le monde désolé était hostile, et peu de formes de vie y survivaient. Aussi, les morceaux de viande séchée, les galettes de céréales leur seraient utiles.

XXXXX

Je ne relaterai pas ici le long voyage de nos deux aventuriers. Rompus à la survie par leur mode de vie sauvage et difficile, ils n’eurent pas trop de difficultés à éviter les bêtes sauvages et les pièges que pouvait leur tendre la nature.
Ce qui marqua le plus Niw, ce fut l’immense mer intérieure qu’ils longèrent des semaines et des semaines durant. La seule végétation présente dans le paysage était constituée d’herbes basses et sèches, mais lorsque la pluie tombait, germaient des graines dont les pousses de certaines étaient comestibles, bien qu’âcre. Les deux hommes avaient consommé tout ce qui leur restait de provisions. De temps en temps, ils parvenaient à tuer un rat, seul animal semblant réussir à survivre sur cette terre désolée. Ils étaient épuisés, affamés, à bout de force.
Puis, progressivement, l’environnement changea pour laisser apparaître de timides buissons et des bosquets. De petits rongeurs et oiseaux y vivaient, et ils purent à nouveau se nourrir à peu près correctement.

Enfin, un jour, Prist s’arrêta :
- écoute !
Wil tendit l’oreille et perçut distinctement des sifflements et piaillements lointains.
- Nous arrivons aux marais du Grand-Est, expliqua Prist. Nous arrivons à la demeure de notre dieu.
Après deux heures de marche, ils abordèrent la zone marécageuse couverte d’oiseaux multicolores. C’est là qu’ils dressèrent leur campement.

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Le lendemain, ils s’enfoncèrent dans la zone humide, se déplaçant sur les bandes de terre émergées où foisonnait la vie.
Au bout du troisième jour, à la sortie d’une haute roselière, Niw se trouva face à un lieu qui lui coupa le souffle. A perte de vue, émergeaient des eaux stagnantes des hautes structures de forme parallélépipédique, rongées par l’humidité. Certaines étaient droites et dominaient les autres, la plupart étaient de biais.
- C’est la demeure du grand Kÿs, dit Prist, lui-même gagné par l’énergie sombre que dégageait ce lieu.
- Où aviez-vous trouvé son image ? demanda le jeune chasseur.
- Il faut poursuivre notre chemin à travers ces « choses », expliqua son compagnon, ignorant comment nommer les étranges structures. Je vais te guider.
Ils marchèrent encore deux jours en cet endroit désolé, contournant les étranges agencements qui, bien que figés dans sol humide et boueux tels de hauts rochers, ne semblaient décidément pas naturels.
Arrivés au pied de l’un d’eux, le plus haut et le plus droit, Prist s’arrêta et alluma un feu.
- C’est ici, dit-il. On va rassembler des branches pour préparer des torches.
Niw se chargea de tuer quelques oies bien grasses. Il sépara la chair de la graisse, mêla cette dernière à des inflorescences brunes de massettes et attacha le tout à des branches solides.
Le lendemain, après un bon repos, ils se sentaient prêts à pénétrer l’antre du grand dieu Kÿs.
Munis de leurs torches, ils se faufilèrent par une anfractuosité et se retrouvèrent dans une sorte de galerie aux formes tantôt rectilignes, tantôt anguleuses. Parfois, ces tunnels étaient percés de trous béants débouchant sur le vide, il fallait alors faire demi-tour. De l’humidité suintait des parois glissantes, répandant une odeur de moisi.

Puis, progressivement, la lumière du jour ne parvint plus à éclairer les deux explorateurs ; plus ils s’enfonçaient dans les entrailles de l’antre, plus les lieux étaient secs et « sains ».
- Je reconnais ce passage, annonça soudain Prist. Nous ne sommes plus très loin.
Quelques instants plus tard, ils arrivèrent devant une structure métallique de forme rectangulaire. Prist prononça alors des incantations dans une langue que son compagnon n’avait jamais entendue. De sa besace, il sortit un collier qu’il avait fabriqué avec des plumes de cygne, et un morceau de viande séchée qu’il plaça sur le sol.
Rien ne se passa. Au bout de quelques minutes, il s’adressa à Wim, qui n’osait pas bouger, et dont le cœur battait d’une excitation mêlée de peur.
- Tout est calme. Exactement comme la première fois que je suis venu avec mon peuple. Nous pouvons donc avancer.
Ensemble, ils poussèrent la structure métallique qui grinça, et dont le contact surprit Wim, qui n’avait jamais touché une telle matière.
Lorsque l’espace dégagé fut suffisant, ils franchirent le passage et se retrouvèrent dans une espèce de grotte cubique, sombre, encombrée d’objets que Wil n’avait jamais vus. Mais ce qui attira immédiatement son regard, ce fut, représentée sur une des parois, l’image du dieu Kÿs, aussi grande que ne l’était un humain. Il y avait certes plus de détails que sur la représentation qu’en avait faite Prist au campement, mais c’était bien lui, parfaitement reconnaissable. Wil, ému, baissa les yeux en signe de soumission, sans plus oser bouger.
Prist s’approcha :
-Viens, dit-il. Rien n’a changé depuis que je suis venu la première fois, il y a si longtemps. On dirait que le grand dieu n’est pas revenu depuis lors. Viens voir !
Prist emmena son ami près d’une série de structures cubiques, faites d’une matière que le jeune homme ne connaissait pas. Il souleva le dessus de l’une d’elles. Niw écarquilla les yeux : un entassement d’images et de fins signes, représentés sur… Sur quoi ? ce n’étaient pas des peaux de bête tannées. Non, on aurait dit de fines couches de bois, mais si fines qu’il n’osait pas les toucher. Certaines, plus épaisses, attirèrent son attention car on y voyait des couleurs difficilement distinguables à la lueur des deux torches. Par contre, la silhouette était parfaitement reconnaissable : c’était celle du grand Kÿs en train de voler dans le ciel.

Wil tomba à genoux, tremblant d’émotion. Kÿs, le dieu du ciel : il le voyait voler. Assurément, ce dieu avait un grand pouvoir.
- Crois-tu que nous puissions emporter cette image ?
- Bien sûr ! C’est lui faire honneur, car nous pourrons prouver son existence à toute ta tribu, et ensemble le vénérer chaque jour.
Les deux hommes emballèrent la précieuse image dans un morceau de peau de cheval finement travaillée, et que Niw utilisait comme pagne de rechange. Avec un grand respect, ils quittèrent ensuite la demeure du grand dieu et reprirent le chemin du retour.

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